Rendez-vous en Alsace, aux abords de Mulhouse, où se dresse un vrai monument du savoir-faire textile français.

Créée en 1856 par Emanuel Lang, l’entreprise éponyme historique a su se spécialiser dans la fabrication haut-de-gamme de popeline, d’oxford, de piqué et, plus récemment, de tissus en lin.

De quoi se faire un nom dans le secteur, puisque l’atelier peut aujourd’hui se vanter de faire figurer de grandes maisons parmi ses clients les plus fidèles.

L’une des fiertés historiques d’Emanuel Lang réside dans les secrets de l’élaboration du coton seersucker, matière dont nous avons brossé le portrait détaillé dans cet article. Une sorte de spécialité de la maison qui nous rappelle à quel point des matières premières de qualité supérieure et leur tissage méticuleux sont essentiels pour confectionner des pièces durables et uniques.

Le produit fini semble cocher toutes les cases : finition impeccable, résistance à toute épreuve et un toucher propre à Emanuel Lang. C’est simplement le fruit d’un travail soigné, empreint d’un savoir-faire historique. Ne vous y trompez pas, il n’est pas si trivial de se démarquer dans une industrie très souvent impitoyable, Emanuel Lang continue pourtant de satisfaire toujours plus de passionnés du bon tissu.

Quel est donc son secret ?

Partons aujourd’hui, en filature bien sûr, à la découverte d’Emanuel Lang et de ses dessous.

Si l’on mentionne Emanuel Lang, on ne peut pas passer à côté de son parcours. Celui-ci commence au XIXe siècle et aurait bien pu prendre fin à plusieurs reprises.

Alsace et textile ne riment peut-être pas pour vous, c’est pourtant l’une des régions les plus dynamiques de l’industrie textile française.

L’histoire du tissu alsacien remonte à 1746, à la veille de l’industrialisation du secteur, avec la création de Köchlin Schmalzer und Comp, première manufacture mulhousienne d’indiennes de coton. L’outre-Rhin et la Suisse à seulement quelques kilomètres, l’Alsace profite, parfois, des nombreux conflits européens, pour asseoir son rôle de pionnier du textile en France. La région fit, ainsi, florès de l’arrêt des importations de toiles écrues des pays voisins, en produisant, elle-même, ses étoffes. Autant de facteurs qui posent l’Alsace comme un berceau idéal pour cette jeune industrie textile française.

Dans ce contexte régional propice, Emanuel Lang s’installe d’abord à Waldighoffen. Elle se développe et pose finalement ses valises à Hirsingue, en 1908. L’atelier n’a pas bougé depuis. Emanuel Lang y porte, avec elle, son savoir-faire du coton dans de plus grands locaux et s’occupe désormais de quasiment toutes les étapes de fabrication, de la fibre jusqu’au tissu.

Après un siècle de succès, probablement imputable au processus de confection polyvalent et à la qualité de ses tissus, Emanuel Lang connaît le premier passage houleux de son histoire autour des années 2000. Entre les bouleversements liés aux délocalisations, un changement d’actionnaires et plusieurs menaces de liquidation judiciaire, on aurait pu croire, après plus d’une décennie de difficultés, à la disparition d’un symbole du tissu français. C’est à la suite d’un rachat au parfum de miracle par Pierre Schmitt, en 2013, qu’Emanuel Lang trouve un second souffle et échappe ainsi au pire.

Si vous pensiez que l’atelier en avait fini avec ses mésaventures, vous vous trompez. L’atelier fait face, en mai 2021, à un incendie accidentel, ravageant sur son chemin la salle de tissage et une bonne partie des métiers à tisser. Un brasier malheureux dont Emanuel Lang et ses partenaires se seraient bien épargné la nouvelle, et qui met, une fois de plus, l’entreprise à rude épreuve.

L’équipe d’Emanuel Lang est déterminée et compte bien tenir sa promesse : elle gardera son carnet de commandes à jour. Après un élan de solidarité de la part de ses partenaires, l’atelier retrouve sa forme initiale et compte bien continuer son parcours.

Fort de son savoir-faire unique, Emanuel Lang compte aujourd’hui une vingtaine de passionnés de tissus au service de la qualité. Cependant une question se pose : qu’est-ce qui rend ce résultat si unique ?

Une première explication réside dans la vision de la confection. Celle-ci, comme mentionné précédemment, a pour but de contrôler une grande partie du déroulement de la fabrication. L’avantage considérable étant de pouvoir superviser toutes les étapes avec soin. Dans les faits : bobinage, ourdissage, encollage et tissage sont soumis au même niveau d’exigence, le plus élevé. Une maîtrise limpide de tout le cheminement jusqu’à l’étoffe finale ne laisse aucune place au hasard, et cela, Emanuel Lang l’a bien compris.

Rentre désormais en compte le savoir-faire tisserand, rendu possible, entre autres, par la quantité remarquable d’archives tissé-teint. Préserver ce patrimoine, c’est non-seulement garder l’expertise en mémoire, mais également marquer un point de départ pour l’innovation, conférant à Emanuel Lang cette unicité dans le travail des matières. Entre lin, seersucker de coton bio, oxford et métis coton / lin français, l’atelier propose une grande variété de tissus, garants d’une recherche de renouvellement constant, en plus d’un immuable savoir-faire.

Emanuel Lang dispose, au-delà de son savoir-faire de plus de 165 ans, d’un parc industriel de premier ordre. Une de ses particularités se trouve dans la qualité des outils utilisés, : d’authentiques métiers Dornier, que l’on ne retrouve que dans une modique sélection d’ateliers dans le monde. Ces machines allemandes figurent, en effet, parmi les plus mondialement reconnues. Elles garantissent un tissage non seulement précis et durable, mais également polyvalent, que ce soit en termes de fibre utilisée qu’à l’armure de tissage choisie.

Dans le monde du savoir-faire, ne pas évoluer, c’est périr à terme. Emanuel Lang en a conscience et on ne peut que leur reconnaître une volonté certaine de pérennité, un souhait pouvant être alloué à leur passé tourmenté. Comprendre les nouveaux besoins, c’est une première étape pour trouver des réponses aux problèmes modernes. La clé, c’est d’oser les mettre en pratique.

En complément de l’obtention de la certification France Terre Textile, Emanuel Lang place la transmission de savoir-faire régionaux au centre de sa démarche. L’atelier s’engage, depuis 2014, à faire perdurer les richesses locales au travers du label Alsace Terre Textile. Ainsi, la confection et la sous-traitance sont essentiellement réalisées localement et le circuit-court est privilégié. Ne pas assurer la pérennité de son héritage, c’est inévitablement sceller son sort. Aussi, Emanuel Lang souhaite préserver ce qui le rend unique : ses savoir-faire.

Face aux enjeux écologiques, c’est aussi le choix des matières utilisées qui peut changer les choses. En plus de leur lien historique avec la région et son industrie textile, le chanvre, l’ortie et le lin sont des fibres impliquant une faible consommation d’eau, d’engrais et de pesticides. Ces matières ont été remises au goût du jour au sein d’Emanuel Lang et confirment leur attachement pour le renouveau.

L’atelier alsacien peut également proposer des tissus à base de coton 100% biologique, soumis à la certification Global Organic Textile Standard (GOTS) : un label attestant du respect de la matière biologique tout au long de la confection grâce à un processus de validation méticuleux, mêlant inspections in situ et vérification des standards liés au coton bio.

Ajoutez à cela la mention OEKO-TEX® figurant sur certaines pièces, garantissant l’absence de substances nocives, et le label Masters of Linen® pour la traçabilité du lin. Vous l’aurez compris, Emanuel Lang perçoit les enjeux actuels et n'hésite pas lorsqu’il s’agit de s‘y adapter.

Suite à son rachat en 2013, Emanuel Lang a su faire le pari de l’exigence qualité, une notion qui réside aux racines même de sa création. Le résultat ? Une entreprise référence dans le haut-de-gamme, innovante et parmi les fers de (re)lance du savoir-faire français.

À la manière d’autres filatures historiques comme Lemaitre Demeestere (on en parle juste ici), Emanuel Lang s’est lancé le défi de revaloriser cette étape oubliée de la confection du lin français. Un intérêt écologique, d’une part, puisque la majorité de la production linière française effectue un aller-retour en Asie pour être filé. D’autre part, c’est l’opportunité pour Velcorex-Matières françaises, le groupe dont fait partie Emanuel Lang, de mener le renouveau de la filature de lin dans l’Hexagone, à l’instar de la coopérative normande NatUp, également lancée dans le projet de faire revivre cette fibre. Autant de projets territoriaux inspirants qui méritent nettement l’engouement autour d’eux.

Résilience et innovation sont les clés de la pérennité d’Emanuel Lang et de la qualité de ses tissus depuis plus de 165 ans. Elle démontre, une fois de plus, que le savoir-faire est source de longévité.